dimanche 29 janvier 2012

Article du jour: Shanghaï-Osaka, le Bund en avant

Voici le début d’un article intéressant de Philippe Pons dans Le monde du 27/1/2012.

Passer, en moins de trois heures de vol, d'Osaka à Shanghaï, c'est ressentir physiquement ce que rabâchent les statistiques : le décentrement de la puissance économique du Japon vers la Chine et, en arrière-plan, de l'Occident (Etats-Unis et Europe) vers l'Asie. En raison de sa proximité géographique, l'Archipel est aux premières loges du retournement en cours - non sans appréhension pour sa prospérité et sa sécurité.
Ces deux villes "secondes" par rapport à leurs capitales respectives incitent à s'interroger sur la modernité de l'Asie orientale. Certaines caractéristiques les rapprochent. D'autres les différencient.

La suite est ici.

2 commentaires:

  1. Passer, en moins de trois heures de vol, d'Osaka à Shanghaï, c'est ressentir physiquement ce que rabâchent les statistiques : le décentrement de la puissance économique du Japon vers la Chine et, en arrière-plan, de l'Occident (Etats-Unis et Europe) vers l'Asie. En raison de sa proximité géographique, l'Archipel est aux premières loges du retournement en cours - non sans appréhension pour sa prospérité et sa sécurité.

    Ces deux villes "secondes" par rapport à leurs capitales respectives incitent à s'interroger sur la modernité de l'Asie orientale. Certaines caractéristiques les rapprochent. D'autres les différencient.

    Toutes deux sont emblématiques de la "déterritorialisation" de la modernité vers l'Asie orientale et, à quarante ans d'intervalle, toutes deux ont accueilli des Expositions universelles : Osaka en 1970 et Shanghaï en 2010. Dans les années 1970-1980, le Japon attirait les "pèlerinages" d'économistes en quête de recettes de croissance. A partir de 2000, la Chine a pris sa place dans leur imaginaire, avec le même engouement.

    Aujourd'hui, comparé à la rue de Nankin, centre clinquant de Shanghaï avec ses cascades de néons le long de buildings flambant neufs abritant des boutiques de marques étrangères, le quartier de Namba à Osaka, ruisselant certes lui aussi de lumières, paraît quelque peu dépassé. Et l'extravagante verticalité de Pudong, sur la rive est du fleuve Huangpu, laisse à la traîne les tours et les canaux de la ville nippone surnommée autrefois "Venise de l'Orient".

    Osaka et Shanghaï ont en partage un état d'esprit : le goût de l'argent. Mais les deux villes diffèrent par leur passé. Osaka fut la cité du capitalisme marchand entre le XVIIe et le milieu du XIXe siècle, époque de fermeture du Japon. "Cuisine de l'empire" où affluaient les denrées alimentaires redistribuées par les grossistes, il s'y forgea comme à Edo (ancien nom de Tokyo) une proto-modernité qui allait permettre à l'Archipel de basculer dans l'ère moderne au contact de l'Occident. Puis ses filatures en firent le Manchester de l'Orient.

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  2. Shanghaï, "ville-monde" du XXIe siècle, est sortie de l'ombre il y a moins de deux siècles pour se muer en une cité cosmopolite à la confluence des appétits des marchands aventuriers étrangers et de leurs intermédiaires chinois (compradores). S'y côtoyèrent immigrés russes, juifs de Bagdad, affairistes de tout poil, joueurs, gangsters, révolutionnaires et comploteurs... Shanghaï était "américaine, anglaise, italienne, russe, allemande, japonaise et, tout de même, un peu chinoise", écrivait le journaliste Albert Londres au début des années 1930.

    Ville à la réputation sulfureuse, qui dansait encore alors que les communistes étaient à ses portes et s'apprêtaient à s'en emparer avec un appétit rapace, Shanghaï paya par la suite d'avoir été le repaire de la "bande des quatre" pendant la révolution culturelle (1966-1976) avant de profiter de l'arrivée au pouvoir de l'un des siens : l'ex-président Jiang Zemin (1993-2003).

    Osaka ne fut jamais une ville cosmopolite, mais elle ne négligea ni le lucre ni les plaisirs : ses "quartiers des fleurs", où gravitaient autour des courtisanes de haute volée poètes et artistes, furent le pendant du centre de jeux le Grand Monde du Shanghaï du début du XXe siècle, l'un des plus étonnants bordels que le monde ait porté par la diversité des plaisirs qui y étaient offerts.

    Mais, grâce à ses marchands mécènes, la "cuisine de l'empire" fut aussi l'un des creusets d'une culture bourgeoise qui s'exprima en littérature et au théâtre. "Peu importe comment on gagne l'argent ; il faut le dépenser proprement", disait l'adage. Et les marchands, tenus au bas de la hiérarchie sociale par l'ordre féodal, s'y employèrent avec élégance.

    La richesse accumulée à Osaka - les plus grandes fortunes s'y constituèrent - et une identité collective enracinée n'ont pas enrayé le lent déclin de la ville alors que Shanghaï se mettait à bouillonner. Roue du destin ?

    Comme le reste de l'Archipel, Osaka a connu des étapes dans sa modernisation (capitalisme marchand, industrialisation, haute croissance), amalgamant des pratiques traditionnelles et nouvelles : la modernisation du Japon n'est le résultat ni d'une occidentalisation ni d'une opposition tradition-modernité, mais d'un remodelage de l'héritage, une recomposition du système économique et social. Ce qui n'est pas le cas de Shanghaï, qui, après sa grande époque puis son assoupissement sous le maoïsme, est entrée sans coup férir dans l'ère de la mondialisation. Avec certes une mémoire qui la préparait à cette spectaculaire renaissance. Mais moins profonde qu'Osaka (trois fois séculaire).

    Aujourd'hui, Shanghaï paraît plus adaptée aux impératifs de la mondialisation que le capitalisme manufacturier d'Osaka - sans pour autant enrayer des disparités sociales qui s'accentuent. La Chine est riche, mais la majorité peine. A Shanghaï aussi. La démocratisation n'est pas un élément constitutif de la modernisation en Asie orientale : elle ne l'a été ni au Japon ni en Corée du Sud et elle ne l'est pas en Chine.

    Ici, comme là, l'Etat a mobilisé les ressources au nom de l'intérêt national et au profit d'une oligarchie. Le Japon fut plus précoce tant en matière d'expansion que de démocratisation. Saura-t-il tirer avantage de cette avance ? L'avenir d'Osaka et de Shanghaï donnera des éléments de réponse.

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