samedi 20 juillet 2024

Une statue qui ne devrait pas être là

L'exposition "Thermae" (テルマエ展 お風呂でつながる古代ローマと日本」) qui se tient actuellement au musée municipal de Kobe permet de voir réunis de beaux et intéressants objets de l'antiquité gréco-romaine, et j'en recommande la visite, même si la muséographie est faible et que, contrairement à ce que son affiche ou le patronage de Mari Yamasaki laissent prévoir, elle n'offre pas vraiment de comparaison ou d'approche parallèle entre les bains romains et japonais.



La présence d'un objet m'a toutefois fort gêné, et c'est pour cela que j'en parle ici. Alors que le musée permet la photographie de la plupart des artefacts de l'exposition, l'atmosphère se tend en son milieu, à l'approche d'une grande statue de bronze dressée dans une vitrine individuelle toute en verre. Ici, pas question de photographie, et il est même précisé qu'il est interdit de photographier l'affichette qui annonce cette interdiction, ce que je trouve cocasse. Une ou deux gardes sont de faction dans la salle pour veiller à ce que cette mesure soit respectée.

Source de l'image : https://www.miho.jp/booth/html/artcon/00002706e.htm

La statue est magnifique, la photo ci-dessus ne lui rend pas justice ; une grande puissance se dégage d'elle. Haute d'1 m 85, elle représente, légèrement plus grande que nature, une femme voilée. Les détails de son vêtement et de certaines parties de sa chevelure sont exquis. Toutefois, que fait-elle dans l'exposition ? Elle ne semble pas liée au thème du bain. Surtout, qui est-elle ? Impossible de le savoir, car sa provenance est inconnue, et c'est bien là que le bât blesse. Elle fait partie de la collection du Musée Miho, qui a prêté plusieurs objets à l'exposition de Kobe, dont certains que l'on peut photographier.

Quelle est sa provenance ? Mystère ! Quelle est sa date ? L'incertitude règne. Sur son site internet, le musée Miho dit "1st century A.D.", mais la liste des œuvres exposées à Kobe (no 73) dit "前 2 ~前 1 世紀", "2e-1er s. av. J.-C."


La statue fait donc partie des œuvres, certaines de qualité exceptionnelle, qui valent au Musée Miho sa mauvaise réputation dans les milieux professionnels de l'archéologie et du patrimoine. Il est fort possible qu'elle soit le résultat de fouilles illégales et qu'elle ait été l'objet d'un trafic clandestin, ce qui signifie à la fois destruction de toutes les données scientifiques qui auraient pu l'accompagner et impossibilité de comprendre réellement sa nature, ainsi que perte de revenus et catastrophe patrimoniale pour ses propriétaires légitimes et le pays d'où elle provient.

Il semble que la législation japonaise soit remarquable en ce qui concerne la rapidité de la prescribilité des crimes liés au vol d’œuvres d'art (Renfrew 2012), et il est donc bien possible que le musée Miho soit dorénavant le propriétaire irrévocablement légal de cette statue, mais, il est à mes yeux choquant que les autorités du musée de Kobe, un musée public, n'aient pas été plus regardantes quant aux œuvres qu'il accueille en son sein : elles donnent ainsi un sceau de respectabilité à une statue et à son propriétaire, qui, tristement, ne le méritent pas.


Renfrew 2012 = C. Renfrew, Combating the Illicit Antiquities Trade: Progress and Problems (Ufficio Studi, 2012)

UNESCO 1970 = UNESCO, Convention on the Means of Prohibiting and Preventing the Illicit Import, Export and Transfer of Ownership of Cultural Property (le Japon n'a pas ratifié cette convention, mais l'a "acceptée" le 9 septembre 2002)




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